Proposée par Driss Jettou, elle s’insère dans un schéma plus global de réforme des retraites.
Les spécialistes la jugent non seulement nécessaire mais insuffisante à elle seule pour pérenniser le système.
Pour les syndicats, elle devrait être facultative.
Va-t-on relever l’age légal de la retraite à 65 ans, au Maroc ? Depuis l’annonce, il y a quelques jours, de la possibilité d’une telle option, les supputations vont bon train. Les employés, on s’en doutait, expriment leur mécontentement, tandis que les patrons expriment des avis sensiblement différents selon leur degré de connaissance du dossier ou le type de secteur au sein duquel ils opèrent (voir avis recueillis par la Rédaction en pages 13 et 14).
Retraite à 65 ans ? Il s’agit en fait plus que d’une option. Depuis décembre 2003, le gouvernement Jettou avait lancé le chantier de la réforme du système de retraite, qui devrait normalement prendre fin en 2006. Certes, à cinq mois du délai, aucune décision n’a encore été prise mais la commission technique en charge du dossier a fait le diagnostic des régimes de retraite existants et élaboré les scénarios de réforme éventuels.
800 000 retraités aujourd’hui
L’augmentation de l’age de la retraite est une piste de réforme - sérieusement envisagée- qui s’inscrit, faut-il le rappeler, dans le cadre de la réforme paramétrique des systèmes de retraite.
Dès lors, il s’agit de mesurer l’impact qu’elle aura sur le régime global des retraites ainsi que ses répercussions sur l’équilibre financier des organismes de retraite existants : la Caisse nationale de sécurité sociale, la Caisse marocaine des retraites, la Caisse interprofessionnelle marocaine de retraite et enfin le Régime collectif des allocations et des retraites. Ces quatre régimes gèrent les retraites à une population d’environ 800 000 retraités.
Cet impact, affirment unanimement plusieurs sources proches du dossier, n’a pas encore fait l’objet d’une étude détaillée et affinée. Ce qui justifie l’indisponibilité de données chiffrées et pointues sur ses éventuelles répercussions. Mais ceci n’empêche pas les spécialistes de formuler des observations globales et d’apprécier l’impact d’un départ tardif à la retraite. Il n’empêche qu’elle se présente aujourd’hui comme l’option la plus rapide -la plus facile aussi !, - à mettre en oeuvre.
Appelée aussi, selon le jargon technique, ‘le retard du bénéfice de la prestation’, la retraite à 65 ans permet de repousser le déficit des différentes caisses de cinq années. Autrement dit, la mesure se traduira par 5 ans de gain pour les gestionnaires puisque, d’une part, elle donnera lieu à l’allongement de la période de versement des cotisations et, d’autre part, elle induira une réduction de la durée moyenne de service des prestations ramenée de 10 à 5 ans, l’espérance de vie étant de 70 ans. L’effet attendu de cette mesure est double : l’amélioration des recettes du régime et en même temps la réduction des charges liées aux services des prestations.
Trois arguments militent, selon la DAPS, qui pilote le volet technique de la réforme, en faveur du prolongement de l’age de départ à la retraite :’Premièrement, la simplicité et la facilité de sa mise en place puisque le calcul est aisé et il n’est pas utile de faire des extrapolations avancées. Deuxièmement, le prolongement de l’espérance de vie des Marocains. Les régimes de retraite ont été mis en place au lendemain de l’Indépendance alors que l’espérance de vie se situait entre 54 et 55 ans, contre 70 ans pour les hommes et de 72 ans pour les femmes aujourd’hui. Troisièmement, le Maroc doit s’aligner sur la tendance mondiale actuelle qui consiste à repousser l’age de la retraite’.
Une mesure à court terme mais néanmoins importante
Le prolongement de l’age de départ à la retraite semble donc inévitable pour réformer les régimes de retraite. C’est, selon des spécialistes de la question, ‘une mesure de réforme à court terme en attendant les restructurations de fond. L’arrivée d’une grande masse de retraités, la dégradation du rapport actifs/pensionnés et le chômage sont autant de facteurs qui appellent à une mesure courageuse pour sauver l’équilibre des diverses caisses’. Car pour freiner le déficit financier des régimes des caisses, deux moyens peuvent être retenus : l’augmentation du taux de cotisation et le retard du bénéfice de la prestation.
Or, alors que l’allongement de l’age de la retraite ne nécessite pas une enveloppe budgétaire importante, le relèvement du taux de cotisation, lui, est plus difficile à mettre en oeuvre. Il se traduirait par une réduction du pouvoir d’achat des salariés et une aggravation des charges sociales de l’entreprise. Conscients de son effet indéniable sur l’équilibre financier de leurs régimes, les organismes gestionnaires sont unanimes sur l’apport bénéfique de la retraite à 65 ans. Cependant, ils estiment qu’elle devrait être combinée avec une réforme des autres paramètres ( le salaire de référence de calcul de la pension, le taux d’annuité, l’introduction d’un plafond de pension, le taux et l’assiette de cotisation) par exemple.
A la CMR, où l’on gère les pensions de 440 000 retraités, on estime que la retraite à 65 ans n’est pas une ‘réforme mais juste une mesure susceptible d’améliorer à moyen terme la situation financière de la caisse en attendant une réforme de fond’. Mais les responsables de cet organisme ne manquent pas de souligner que pour assurer la pérennité du système il faut agir sur d’autres paramètres, notamment une légère révision à la baisse du taux d’annuité actuellement fixé à 2,5%. Ou encore une augmentation du taux de la cotisation patronale donc solliciter l’Etat qui devra faire un effort. Et ils estiment par ailleurs que la mise en place d’une telle mesure ne doit pas occulter ses effets sociaux et économiques, il faut étudier son impact sur le marché du travail. Le choix de l’age devrait aussi tenir compte de la capacité physique et morale des individus.
La CNSS met en garde contre les incohérences possibles
Même son de cloche au RCAR où l’on est favorable au relèvement de l’age de la retraite à 65 ans ‘puisqu’il permettra de repousser l’horizon de sa viabilité de 2044 à 2061′.
Pour le régime de la CNSS, le départ à 65 ans est positif dans la mesure où, comme pour la CMR et le RCAR, il repoussera la date du déséquilibre du régime. Cependant, il pénalisera, selon une source proche du dossier, les salariés en raison du plafonnement de la base de cotisation à 6000 DH et du nombre d’années travaillées qui s’élèvent à 24 ans. Les cinq années de travail supplémentaires seront, selon notre source, travaillées gratuitement. ‘Nous sommes certes dans un régime de répartition donc basé sur la solidarité des actifs envers les retraités, mais il faut tout de même songer à agir également sur le taux de remplacement et tenir compte de la réalité des entreprises marocaines’. Par ailleurs, la retraite à 65 ans, poursuit notre source, ‘compliquera davantage l’architecture du régime existant pour le secteur privé composé de la CNSS et la CIMR, qui est déjà complexe. Il faut, pour la pérennité des régimes, penser à adopter une réforme de fond comme le recommandent la Banque mondiale et le Bureau international du travail’. Dans le même ordre d’idées, un observateur note que ‘la retraite à 65 ans créerait peut-être une incohérence au sein du régime CNSS qui est en passe d’instituer la retraite anticipée à 55 ans’.
Les syndicats parlent plutôt de coordination des régimes
Autre observation formulée par les spécialistes du dossier : son entrée en vigueur doit se faire progressivement et ‘programmée sur plusieurs générations. On ne peut, et il ne serait pas juste d’ailleurs, de faire supporter à une seule génération l’impact de cette mesure. Pour cela, il faut prévoir une période transitoire s’étalant de 20 à 40 ans’. Par exemple, pour ceux qui iront à la retraite en 2007, garder le système actuel ; rajouter un an pour ceux qui sont censés partir en 2009 ; deux ans pour les départ prévues en 2011…
Selon des sources proches du dossier, les discussions promettent d’être houleuses car ‘il s’agit de la remise d’un acquis primordial notamment la retraite à 60 ans’.
Justement dans le milieu syndical, on demeure hostile au projet. L’Union marocaine du travail ( UMT) dit ne pas avoir reçu de document officiel relatif à ce projet dont elle refuse la mise en place. ‘C’est une mesure qui va contre la relance de l’emploi. De plus, à elle seule la retraite à 65 ans ne sauvera pas les caisses. Le déséquilibre des divers régimes est dû à une mauvaise gestion et le gouvernement doit aujourd’hui faire face à ses responsabilités’, indique-t-on. Si cette mesure était inévitable, elle devrait, poursuit-on à l’UMT, revêtir un caractère facultatif comme la retraite anticipée à 55 ans. L’Union générale des travailleurs marocains (UGTM) refuse également le relèvement de l’age de la retraite car ‘c’est une sérieuse remise en cause des acquis des salariés’. A la Confédération démocratique du travail (CDT), on rejette catégoriquement la retraite à 65 ans et appelle à une ‘coordination des régimes’.
Cette coordination est préconisée, rappelons-le, dans l’un des trois scénarios proposés pour la réforme de la retraite. Dans le scénario de la réforme paramétrique, la commission technique prévoit en effet une coordination entre les divers organismes existants car elle permettra l’amélioration de la qualité des prestations et la réalisation d’économie au niveau des frais de gestion. Le deuxième scénario envisageable consiste en la création de deux régimes de retraite distincts : l’un, regroupant la CNSS et la CIMR, destiné aux salariés du privé, et, l’autre constitué de la CMR et du RCAR pour les retraités du secteur public. Le troisième scénario qualifié de révolution des régimes actuels propose la création d’une seule caisse qui gérerait les retraités des secteurs public et privé. Une source proche du dossier affirme que c’est le deuxième scénario ( la création de deux pôles distincts) qui sera retenu par la commission technique. Il s’agit, bien sûr, d’une réforme de fond qui se fera sur 30 ou 40 ans. Mais dans l’immédiat, il faut agir sur certains paramètres pour repousser l’apparition du déficit financier des caisses. Une décision courageuse que les pouvoirs publics devraient prendre sans plus tarder. Mais un gouvernement en fin de mandat pourra-t-il sauter le pas ?
Source : blog.ojraweb
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