Crédit photo : AIC Press
Les tensions entre Abdelilah Benkirane et l’Istiqlal reviennent sur les devants de la scène. Cette fois-ci c’est le sujet épineux de la fuite des capitaux qui est au cœur du débat entre le parti de la lampe et celui de la balance. Décryptage d’un conflit qui anime l’actualité de ce début d’année.
La scène a lieu le 31 Décembre au Parlement lors du débat mensuel avec le chef du gouvernement. Interpellé sur la question du dialogue social par la députée istiqlalie, Kenza El Ghali, Abdelilah Benkirane, est piqué au vif et répond : « nous ne sommes pas comme certains partis dont les membres ont des appartements à Paris et des milliards de dirhams sur leurs comptes » (ndlr à l’étranger). De par son allusion à peine voilée à l’appartement parisien de l’ancienne ministre de la Santé et députée du parti de la balance, Yasmina Baddou (contrairement à ce qu’avance la presse nationale l’ancienne ministre ne possède, selon ses propos, qu’un seul appartement), le chef du gouvernement a relancé le débat sur la fuite des capitaux. Quelques jours plus tôt, le gouvernement avait fait adopter un amendement de la loi de Finances 2014 garantissant l’amnistie aux détenteurs de biens et d’avoir illégaux à l’étranger. Le texte de loi, qui a suscité l’ire de l’opposition, permet aux fraudeurs de rapatrier leurs biens en contrepartie d’une contribution correspondant à 10% des biens détournés. Au total, l’amnistie pourrait rapporter entre 3,5 et 5,2 milliards de dirhams selon l’évaluation de l’Office des changes et du gouvernement. A noter que cette amnistie garantit l’anonymat des fraudeurs qui seront protégés par le secret bancaire.
« L’amnistie est un blanchiment d’argent institutionnel »
Les membres du parti au pouvoir défendent cette mesure : « cet amendement était « nécessaire car la loi concernant la fuite des capitaux sera enfin appliquée » estime Abdelaziz Aftati, député du PJD. Il ajoute : « le principe de contribution libératoire est appliqué depuis 1989 dans d’autres domaines financiers. Pourquoi ne pas l’appliquer à ce domaine ? » . Le représentant du parti de la lampe tient à préciser qu’ « il ne faut pas confondre fuite des capitaux avec argent de la drogue. Ce sont tout de même 4 milliards de dirhams qui vont revenir au Maroc ».
Dans les rangs de l’opposition, on dénonce le mode d’approbation de cet amendement. En effet, celui-ci ne figurait pas dans la loi de finances lors de son passage à la chambre des représentants. Ce n’est qu’au passage de l’amendement à la chambre des conseillers qu’il a été présenté puis rejeté par la commission des finances et en plénière. Enfin, c’est une version remaniée de cet amendement qui a été adopté malgré les vives contestations de l’opposition : « L’amnistie a été présentée sous forme d’amendement à la Chambre des Conseillers. Pourquoi ne pas avoir ramené le sujet a la première chambre. Pourquoi avoir fui à la deuxième chambre.» s’interroge le député de l’Union Socialiste des Forces Populaires (USFP),Mehdi Mezouari. Pour le militant socialiste, « cette loi n’est pas égalitaire. Qu’en est-il des personnes qui ont légalement sorti leur argent ?». Même son de cloche pour le député du parti de la balance, Mehdi Mediane, selon lequel : « un dialogue national aurait dû être instauré. Il ne fallait pas que ce texte soit un amendement de la loi de finances ». Le représentant du parti de Hamid Chabat aurait également souhaité « que des recherches soient effectuées afin d’estimer le montant exact des capitaux fuyants ainsi que le nombre de fraudeurs ». Le militant de l’Istiqlal, contrairement à ceux du PJD, pense que les « fuyards » doivent encourir des poursuites judiciaires : « ces personnes ont volé le pays. On ne doit pas les amnistier mais les condamner, on ne peut plus leur faire confiance ».
Autre sujet d’inquiétude du côté de l’opposition, les fonds issus d’activités illégales. Pour l’Istiqlal l’amnistie « gracie les grands criminels ». Crainte partagée par Mezouari qui qualifie la grâce financière de « blanchiment institutionnel et politiquement incorrecte ». Toutefois chez le parti de la rose, aucune alternative concrète n’est proposée : « Pour le moment, aucune position commune n’a été décidée» révèle le député socialiste.
«Il faut publier la liste des fraudeurs »
Le système de fiscalité marocain s’inspire largement de son homologue français. A l’image de ce qui se fait en France, les élus marocains doivent « selon la loi, déclarer les biens en leur possession. Cependant, contrairement à la France, ces déclarations ne sont pas révélées publiquement. Une confidentialité que le député du parti de la lampe, Abdelaziz Aftati, souhaiterait voir brisée via « une publication sur le Bulletin Officiel ». Un sentiment partagé par Mehdi Mediane qui estime : « qu’il est naturel que les citoyens marocains soient informés ».
Durant cette « dispute » au sein de l’hémicycle, le chef du gouvernement aurait affirmé qu’il disposait d’une liste ou serait mentionnée les élus reconnus coupables de fuite des capitaux. Toutefois, si l’on en croit les propos d’Aftati chez nos confrères d’H24info, ce document ne devrait pas être rendu public au grand dam des opposants. « Nous demandons au chef du gouvernement de publier cette liste. Ce serait pour lui une occasion de briller sur la scène politique » affirme Mediane. Le représentant Mehdi Mezouari, abonde dans le même sens tout en indiquant : « nous réclamons l’établissement d’une commission parlementaire d’enquête. Nous demandons au chef du gouvernement de venir devant ces commissions d’enquêtes. Les députés doivent connaitre la vérité ».
Sanctions
Que devrait-il advenir des politiciens reconnus coupables de fuite des capitaux ? La loi, datant de 1949, prévoit « des sanctions privatives de liberté allant de un à cinq mois ainsi qu’une amende dont le montant ne peut être inferieur a six fois la valeur du corps du délit ». Ces sanctions contre les politiciens doivent-elle être plus sévères ? Sur cette question, les opinions divergent. Du côté du militant du PJD, Abdelaziz Aftati, on botte en touche : « vous savez les politiciens vivent avec leurs moyens ». Le discours est radicalement différent chez son homologue de l’USFP : « Les sanctions doivent être sévères. Il faut que les fraudeurs ne puissent plus participer dans la vie politique ». Mediane, quant à lui, est beaucoup moins tendre: « les coupables ne devraient plus bénéficier de la nationalité marocaine » avant d’indiquer « si un membre de notre parti est reconnu coupable. Il sera immédiatement radié de l’Istiqlal. Il sera jugé par le parti avant d’être jugé par les tribunaux ». Les propos des députés ne sont à ce jour que des vœux pieux.
D'après: telquel-online.com
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